Dans une déclaration commune, 92 associations d’entreprises appellent la Commission européenne à jeter au plus vite les bases d’une nouvelle stratégie industrielle. Objectif ? Freiner l’érosion du socle industriel de l’Union européenne (UE), « qui menace de détruire les fondations mêmes sur lesquelles notre économie s’est construite », avertit Milan Nitzschke, porte-parole de AEGIS Europe, une fédération regroupant 30 industries manufacturières. Via cet appel adressé aux décideurs, les signataires espèrent tirer la sonnette d’alarme pour enrayer le déclin de l’industrie européenne.
Les chiffres qu’ils brandissent sont alarmants : entre 2000 et 2014, la part du secteur manufacturier dans la production totale est passée de 18,8 % à 15,3% et entre 2008 et 2014, 3,5 millions d’emplois ont été supprimés dans l’industrie. Une action concertée à l’échelle de l’UE est donc jugée nécessaire à l’instar des mesures prises dans d’autres parties du globe où le sujet « figure en tête de liste de l’agenda politique », peut-on lire dans la déclaration.
Parmi les exemples évoqués figurent la stratégie « make in India » pour faire de l’Inde la prochaine « destination manufacturière », ou le « made in China 2025 » destiné à donner à la Chine le leadership mondial dans le secteur. La politique promue par la nouvelle administration de Donald Trump, « America first », aura également un impact majeur sur la politique industrielle des Etats-Unis, estiment les signataires.
Un contexte favorable
Dans cette missive conjointe, ils exhortent donc le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à honorer les engagements qu’il avait pris au début de son mandat, notamment l’objectif d’augmenter la part de l’industrie dans le PIB européen à 20 % d’ici à 2020. Comment ? En adoptant un plan d’action qui identifie les principaux obstacles rencontrés par le secteur et qui pose « des jalons, des étapes concrètes ». L’UE devra ensuite s’engager à respecter strictement le calendrier en élaborant de façon régulière des rapports sur les progrès accomplis.
Les signataires de la déclaration soulignent également l’existence d’un contexte favorable dans lequel d’autres initiatives récentes ont également vu le jour. Dans les conclusions du sommet du 15 décembre 2016, les chefs d’Etat et de gouvernement ont ainsi appelé eux aussi au renforcement et à la modernisation de la base industrielle de l’UE. Même chose le 5 octobre dernier, lorsque les eurodéputés avaient adopté une résolution appelant à la mise en œuvre d’une politique industrielle à l’échelle européenne.
« Le problème c’est que l’Europe reste naïvement assise à attendre alors que les autres pays du monde font le nécessaire pour convaincre les entreprises manufacturières de s’installer chez eux », déplore Marco Mensink, directeur général du CEFIC, le puissant lobby pharmaceutique basé à Bruxelles. « Si la réponse européenne se limite au lancement du jour annuel de l’industrie, je pense être en mesure d’espérer plus », confiait-il, condamnant « le silence assourdissant de la Commission ».
Politique industrielle et réciprocité au menu du Conseil Compétitivité
Faute d’une politique européenne ambitieuse, « des secteurs entiers poursuivront leur installation en Asie, notamment les entreprises high-tech pour lesquelles le coût du travail n’est pourtant pas un facteur décisif », ajoute Milan Nitzschke. Pour le porte-parole d’AEGIS Europe, l’UE ne peut pas miser sur la création de croissance et d’emplois en maintenant une balance commerciale déficitaire « comme avec la Chine où le déficit a atteint 180 milliards d’euros par an, c’est colossal! ».
Le sujet était inscrit au menu du Conseil compétitivité organisé ce mardi 20 février à Bruxelles. Lors du déjeuner, les 28 ministres en charge du dossier ont présenté leur vision d’une stratégie industrielle ambitieuse. « J’atteste de la position très largement partagée, qui consiste à redonner à la politique industrielle une place plus affirmée à l’échelle européenne », s’est félicité Christophe Sirugue, le secrétaire d’État français à l’Industrie.
Mais à ce stade, les outils nécessaires pour concrétiser les ambitions restent encore à définir. Les ministres ont convenu de présenter des éléments concrets lors du prochain Conseil compétitivité, afin de répondre rapidement au cri d’alarme lancé par les représentants du secteur industriel. Pour la France, les transitions en cours dans les secteurs écologique et numérique devraient « nous amener à ne pas être spectateurs mais à être moteurs en terme de réflexion », estime Christophe Sirugue. Autre point majeur soutenu par Paris : la mise en avant d’une approche spécifique « notamment sur le principe de réciprocité qui est un enjeu déterminant ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles