De passage à Kiev le 7 juillet, après un déplacement de deux jours (5-6 juillet) en Azerbaïdjan, le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, Matthias Fekl, y a affirmé que la France veut soutenir « sur le front interne » l’Ukraine, en proie à un conflit armé dans l’est du pays et une récession économique, qui devrait atteindre – 7,5 % cette année, d’après la Banque mondiale (après – 6,8 % en 2014). Une position qui reflète la volonté de Paris et des milieux d’affaires investis en Ukraine de relancer les relations économiques entre les deux pays alors que les entreprises allemandes prennent de l’avance.
Le contexte n’est pas facile. « C’est bien beau, réagit ainsi un opérateur auprès de la Lettre confidentielle, mais il fallait que tous les Européens y pensent avant. L’Ukraine étant quasiment totalement dépendante de l’énergie russe, il fallait sauvegarder la paix à tout prix ». L’homme, très en colère, reproche ainsi aux Européens et pas seulement à la France « de n’avoir pas voulu ou su éviter la guerre ». Aujourd’hui, l’Ukraine peine à attirer les investisseurs internationaux.
A Kiev, cependant, Matthias Fekl a annoncé un forum d’investissements à Paris à l’automne prochain. Le Quai d’Orsay affiche trois domaines prioritaires en Ukraine: énergie renouvelable, efficacité énergétique et transport. Le secrétaires d’Etat a d’ailleurs rencontré, au cours de sa visite, les ministres en charge des dossiers dans le gouvernement Yatseniouk : Volodymir Demtchychyne (Energie) et Andryi Pivovarsky (Infrastructures).
Paris accueillera en 2016 la commission économique mixte
Si jusqu’à présent aucune entreprise française ne se serait retirée depuis l’annexion de la Crimée par la Russie (mars 2014), Matthias Fekl reconnaît que les échanges, à plus d’un milliard d’euros entre les deux pays, sont insuffisants. D’autant qu’ils « ont chuté de 18 % en 2014 », année du renversement du gouvernement pro-russe. A Vitali Klitcko, héros du soulèvement de la place Maidan et maire de Kiev, le secrétaire d’Etat français a aussi indiqué que le lycée français avait besoin de s’étendre pour satisfaire toutes les demandes d’inscription de la communauté française et des Ukrainiens.
Matthias Fekl a aussi évoqué avec Hennadyi Zoubko, Premier vice-premier ministre d’Ukraine, la tenue l’an prochain d’une commission mixte franco-ukrainienne, qu’il coprésidera. Qui sera son alter ego côté ukrainien ? Sans que le nom de ce dernier fut prononcé, il devrait s’agir, en toute logique, du ministre du Développement économique et du commerce, Aivaras Abromavicius, un homme politique originaire des pays baltes, qui a accompagné à Paris tour à tour le président Porochenko en avril et le Premier ministre Arsenyi Yatseniouk en mai dernier.
Quant aux sujets qui seraient abordés, l’énergie devrait y figurer en bonne place, mais sans doute aussi l’agriculture, secteur représentant 20 % des exportations de l’Ukraine. Ce pays « devrait enregistrer une bonne récolte de grains cette année, entre 60 et 64 millions de tonnes, et les exportations sont normalement de l’ordre de 34 millions de tonnes », a indiqué à la LC Jean-Jacques Hervé, chargé de mission à l’Index Bank (Crédit Agricole) et président du comité agricole de la CCI franco-ukrainienne et ex-conseiller du ministre ukrainien de l’Agriculture.
La corruption, véritable fléau pour les investisseurs
L’actuel ministre de l’Agriculture, Oleksiy Pavlenko, s’est exprimé, le 20 mars, devant 115 personnes invitées par la CCI franco-ukrainienne. Jean-Jacques Hervé estime que différents dossiers pourraient figurer au menu de la commission mixte bilatérale, comme le lait ou les céréales. Mais pour ce spécialiste de la région, « il faut aussi nouer des liens étroits entre les corporations professionnelles des deux pays et ne pas laisser le terrain aux seules organisations allemandes ».
A l’actif du gouvernement de Kiev, l’Ukraine a lancé des réformes pour moderniser un système administratif particulièrement complexe, hérité de l’ex-URSS. Un certain nombre de certifications pour des produits étrangers (shampoing, savon liquide, landau, vêtement d’enfant, alimentation des bébés) ont été récemment supprimées. Le cabinet Gide note que les certifications requises pour les véhicules de transport, publics ou individuels, incluant les pièces détachées, disparaîtront également le 1er janvier prochain.
Les droits pour la location des terres ont également été stabilisés : un minimum de sept ans est maintenant accordé, ce qui doit rassurer les investisseurs. Dans l’agriculture, Oleksiy Pavlenko a réduit considérablement le nombre d’autorisations et les procédures génératrices de tentatives de corruption. La lutte contre la corruption est aussi le leitmotiv de la Banque mondiale, dans son dernier rapport sur l’Ukraine paru fin avril. Mais dénouer les fils demeure complexe. Le gouvernement a ainsi commencé à rembourser la TVA due au secteur privé, « mais, confronté à la corruption, il devra encore mettre de l’ordre », assure un fin connaisseur des arcanes administratives ukrainiennes. Les investisseurs français et ukrainiens attendent sans doute encore plus de sa part.
François Pargny