Le ministre de l’Agriculture iranien, Mahmoud Hojjati, n’a pas perdu son temps en venant à Paris assister à l’Assemblée générale des délégués de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE, 25-30 mai). Il a profité de ce séjour pour nouer des contacts avec les autorités françaises et les milieux d’affaires et accorder des entretiens avec quelques journalistes. Le rendez-vous obtenu dans l’après-midi du 27 mai avec son homologue français Stéphane Le Foll, par l’entremise de l’ambassadeur d’Iran à Paris, Ali Ahani, a même été l’élément déclencheur de cette visite : «Ca a été un élément déterminant qui m’a fait venir », a confié Mahmoud Hojjati à la Lettre confidentielle lors d’un entretien exclusif dans les locaux de l’ambassade d’Iran à Paris.
En matière agricole, l’Iran, 77 millions d’habitants, qui importe chaque année des millions de tonnes de nourriture, vise l’autosuffisance alimentaire à terme, ce qui passera par la modernisation de son agriculture. Maïs, blé, oléagineux, sucre, orge, coton, -sans compter la production animale – sont concernées. Et pour le ministre iranien, cela doit passer par une « utilisation adéquate et optimale des ressources primaires », à commencer par « l’eau », mais aussi les intrants, l’organisation de la production, des méthodes plus efficaces de gestion des ressources et de la production, la relance de la recherche…. « C’est cela qui doit permettre d’aboutir automatiquement à une augmentation des rendements, donc de la production ». D’où des besoins exprimés dans de multiples domaines : semences, intrants, équipements, technologies, savoir-faire, formation…
Dans ce contexte, la France est regardée comme le pays qui, en Europe, à le plus à offrir en matière de coopération et de technologies agricoles : « Dans l’Union européenne, la France est parmi les premiers, sinon le premier en matière agricole » souligne Mahmouf Hojjati. Et l’intérêt iranien pour relancer une coopération qui a existé dans le passé est d’autant plus vif que la République islamique veut renforcer son secteur coopératif pour parvenir à ses fins et considère les coopératives françaises comme des modèles parce que leur système permet de gérer de bout en bout les filières, de la fournitures d’intrants à la production et jusqu’aux consommateurs, bref « un circuit » complet alors qu’en Iran, «nous avons beaucoup de chaînons manquants».
Avec le ministre français de l’Agriculture, que son homologue iranien a trouvé « volontaire et désireux d’aller dans le sens d’une coopération », plusieurs axes de coopération ont été définis selon Mahmoud Hojjati : la viande, la volaille, les grains et les semences, mais aussi la formation et les nouvelles technologies. Un groupe de travail doit être constitué « pour identifier les obstacles éventuels et trouver des solutions ». Il sera composé d’un représentant de chaque ministre qui devront maintenir le contact, y compris avec les institutions et structures éventuellement concernées.
Avec les hommes d’affaires français rencontrés à huis clos le matin même, au Medef, si la rencontre a été qualifiée de « très constructive » par Mahmoud Hojjati, qui a évoqué les différentes priorités de la politique agricole iranienne, l’intérêt évident des acteurs du secteur agricole et agroalimentaire français pour un retour en Iran s’est manifesté par les nombreuses questions posées, selon le ministre, par les participants sur des sujets relatifs à l’environnement des affaires et aux conditions d’investissement.
Sur les aspects financiers, « les entreprises françaises sont plus inquiètes que nous »
Car si le secteur agricole et alimentaire n’est pas directement touché par les sanctions internationales liées au différents sur le nucléaire, comme le rappellent à la moindre occasion les Iraniens, il l’est indirectement par les sanctions qui frappent le secteur financier du pays, qui compliquent les circuits de paiement et rendent frileuses les banques occidentales, notamment françaises.
Le pays, rappelons-le, continue à pâtir des plus mauvaises cotes chez les assureurs-crédits (risque élevé chez Euler Hermes, cote D chez Coface, et 7/7 pour le risque de transfert chez Credendo), en raison du risque politique élevé -lié au différent international sur le nucléaire iranien et aux sanctions- mais aussi d’une situation économique qui s’est détériorée ces dernières années, aggravée par les sanctions internationales : selon les estimation, le pays a connu une baisse de 1,6 % de son PIB l’an dernier et sa croissance ne devrait pas excéder 1,5 % cette année.
« C’est une préoccupation commune », constate le ministre, qui relativise toutefois son ampleur en mettant en avant les « facilités » autorisées par les accords de Genève et d’ores et déjà mises en place à travers les lignes de crédit ouvertes sur les avoirs iraniens placés dans les banques étrangères, comme par exemple au Japon : «les entreprises françaises sont plus inquiètes que nous » indique le ministre.
Reste que les remontrances américaines très appuyées qui avaient suivi une importante mission de Medef International en Iran, début février 2014, avec une centaine d’entreprises représentées, ont aussi rappelé aux hommes d’affaires français qu’ils marchent sur des œufs. Et que la phase de négociation en cours pour obtenir un accord définitif sur le nucléaire iranien était certes une étape porteuse d’espoir, mais que le processus était loin d’être terminé … Ce qui n’empêche pas un intense désir de renouer des contacts et de préparer l’avenir.
Les importations iraniennes, bien qu’en baisse de 16,8 % l’an dernier, ont atteint plus de 34 milliards d’euros en 2013 selon les statistiques officielles iraniennes compilées par la base de données GTIS-GTA : le deuxième poste est constitué des céréales (12,6 %) et le 6ème des huiles et graisses (3,5 %). Globalement, la France, dont les livraisons sont en chute libre (-43,5 %, 481 millions d’euros en 2013), a été rétrogradée au 13ème rang, derrière la Suisse, l’Allemagne, l’Italie les Pays-Bas et le Royaume Uni…
Christine Gilguy