Malgré une consommation dynamique, l’économie va ralentir dans les pays émergents.« L’investissement s’affaisse, les coûts structurants sont importants », estime Yves Zlotowski, chef économiste de Coface, dans une interview exclusive au Moci, en marge du dernier colloque annuel de l’assureur crédit sur le Risque pays, le 21 janvier. Une situation à surveiller, car elle peut générer de nouveaux risques. Premiers touchés, les BRIC. La dette des entreprises en Chine et en Turquie doit aussi être surveillée.
« Les grands émergents sont particulièrement touchés »
Le MOCI. Selon vous, les pays émergents vont connaître cette année « un vrai ralentissement de leurs économies ». Est-ce inquiétant pour la croissance mondiale ?
Yves Zlotowski. Pas forcément. Il y aura même une légère reprise par rapport à 2013, puisque la croissance économique passera de 4,3 % à 4,7 % cette année dans les pays émergents. Avec la reprise dans les pays avancés et notamment la fin de la récession en Europe, le commerce extérieur, en particulier, va repartir chez les émergents. Néanmoins, ces pays vont devoir s’adapter à un rythme de croissance moins élevé – et ce, de façon durable. Par rapport aux années 2000-2008, période pendant laquelle l’économie pointait à + 6,5 %, on a perdu deux points de croissance. L’investissement est aujourd’hui affaibli. Il y a des causes structurelles, notamment des contraintes négatives en matière d’environnement des affaires.
Bien sûr, cette évolution n’est pas uniforme. Les grands émergents, les BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine), sont particulièrement touchés, en raison de la montée des coûts du travail, de la pénurie de main d’œuvre qualifiée, du déficit dans les infrastructures et dans la qualité de l’environnement des affaires. Coface estime ainsi qu’il y a une montée du risque au Brésil et en Inde, mais aussi en Thaïlande.
En revanche, d’autres émergents parviennent à se renouveler. Et c’est le cas de l’Indonésie, des Philippines, de la Colombie et du Pérou, où la croissance économique est assez stable, la situation politique est aussi stable, l’inflation est maîtrisée et la dette souveraine sous contrôle. Ces quatre États font preuve d’une résilience aux chocs et ce sont, enfin, des économies assez diversifiées.
Risque Chine : « on ne voit pas de franche montée des impayés dans ce pays »
Le MOCI. La dette des entreprises ne semble pas être un problème dans les nations émergentes, sauf en Turquie et en Chine. Pourquoi ?
Y.Z. Les raisons ne sont pas les mêmes. En Chine, la dette des entreprises est très élevée, estimée à 160 % du produit intérieur brut. C’est une dette interne, donc en monnaie locale, liée au modèle économique de la Chine faisant la part belle à l’investissement, au crédit abondant, officiel et non officiel, ce qu’on appelle le «shadow banking ». Les entreprises sont financées de façon opaque. C’est d’autant plus important à noter que la Chine va connaître un ralentissement de son économie. La croissance, de 7,7 % l’an dernier, devrait tomber à 7,2 % en 2014. Pour autant, on ne voit pas de franche montée des impayés dans ce pays. Mais, bien sûr, nous devons être attentifs à la solvabilité des différents acteurs économiques chinois.
S’agissant de la Turquie, il s’agit de la dette extérieure, donc en devises, à court terme. Il y a donc un risque de change et on voit bien en ce moment que la livre turque s’affaiblit. Cependant, à la lumière des différents épisodes, fort nombreux depuis quinze ans, de volatilité des taux de change, nous avons constaté que les acteurs privés turcs ont toujours été endettés en devises et qu’ils ont appris à se protéger de cette volatilité. Pour ceux qui sont exposés au risque de change, soit ils disposaient déjà d’un matelas de devises, soit ils avaient souscrit des contrats pour des couvertures de change. Donc, les entreprises turques font preuve d’une certaine résilience, mais ce point reste à surveiller, surtout au moment où la situation politique est très tendue.
Le MOCI. En Asie, est-ce que la dette des ménages ne constitue pas une vraie menace pour la stabilité économique et politique ?
Y.Z.La dette des ménages augmente, en effet, en Asie, mais elle est surtout élevée dans quelques pays, comme la Corée du Sud et la Thaïlande. En Inde et en Chine notamment, elle est encore modeste. Globalement, la consommation des ménages reste dynamique dans les émergents, même si elle ralentit un peu. En Corée du Sud, en Thaïlande, mais aussi en Afrique du Sud et au Brésil, la dette des ménages a augmenté et les consommateurs, semble-t-il, se montrent plus prudents.
Propos recueillis par
François Pargny