La Commission européenne se prépare-t-elle à entamer un bras de fer avec la grande distribution pour redonner de l’air aux agriculteurs européens ? Le projet est, en effet, en gestation depuis début 2016 et défendu par Phil Hogan, le commissaire à l’Agriculture. Il est revenu récemment au devant de la scène médiatique après avoir failli tomber aux oubliettes. Un retour en arrière s’impose. Début 2016, le responsable irlandais avait promis d’œuvrer à « renforcer le rôle des agriculteurs dans la chaîne alimentaire pour leur garantir une juste rémunération ». Et pour explorer les pistes d’une action à l’échelle de l’UE, un groupe de travail (task force dans le jargon communautaire) avait été constitué dans la foulée.
Établir une liste noire des pratiques déloyales
Quelques mois plus tard, en décembre 2016, la task force rendait ses conclusions à l’exécutif. Faute d’initiatives concluantes dans les États membres, son rapport prône une intervention européenne pour mettre fin aux pratiques commerciales déloyales dans le secteur. Il accuse aussi la grande distribution d’abuser de sa force de frappe pour imposer des prix d’achat très bas aux producteurs.
Douze pistes sont définies par le rapport afin de remédier aux « déséquilibres dans le pouvoir de négociations ». La task force préconise notamment d’établir une liste noire des pratiques déloyales dans la chaîne alimentaire, de renforcer les palettes d’outils à destination des agriculteurs comme, par exemple, le recours à des arbitrages. Il plaide également en faveur d’une clarification des règles de la concurrence, dont le flou entrave l’essor des coopératives agricoles.
Mais malgré le soutien du Parlement européen (PE) et l’engagement de Malte d’inscrire le sujet au menu de sa présidence, entre janvier et juillet 2017, le dossier semblait être sorti des écrans radar, étouffé par une actualité brûlante, notamment des élections majeures aux Pays-Bas, en France et en Allemagne.
Phil Hogan prépare de nouvelles propositions législatives
Ce n’est que le 6 octobre dernier, que le sujet a fait son grand retour sur la scène médiatique à l’issue d’un discours du commissaire à Dublin. Dénonçant à nouveau les pratiques mises en œuvre par la grande distribution, Phil Hogan a annoncé – « de façon inattendue », reconnaît-on à la Commission – que ses services préparaient de nouvelles propositions législatives visant à mieux protéger les agriculteurs.
« Les supermarchés bénéficient de ‘supers pouvoirs’ dus à l’effet combiné de la globalisation et d’une forte concentration au sein de l’UE », a-t-il expliqué, citant Sainsbury, Tesco et Asda au Royaume-Uni, ou Carrefour, Intermarché et Leclerc en France, qui contrôlent respectivement 60 % et 55 % du marché alimentaire dans leurs pays d’origine. « L’initiative devrait être présentée début 2018 », confirmaient quelques jours plus tard, les collaborateurs du commissaire.
Parmi les mesures attendues : de nouvelles règles pour améliorer la transparence des prix sur les marchés et renforcer le pouvoir des coopératives « afin d’atténuer les problèmes liés aux retards de paiement, aux contrats mal négociés ou à un pouvoir de négociation trop faible », détaille une source proche du dossier au sein de l’exécutif à Bruxelles.
« 95 % des produits vendus dans les supermarchés sont achetés directement aux transformateurs »
La réponse de la grande distribution ne s’est pas fait attendre. Ses représentants à Bruxelles ont rapidement mobilisé leurs troupes pour atténuer les propos du commissaire à l’Agriculture et renforcer leurs actions menées en coulisses afin de limiter l’impact d’une future réglementation. Des responsables de Lidl ou Carrefour sont aussi montés directement au créneau s’estimant injustement ciblés par ces attaques et renvoyant la balle aux grands transformateurs comme Nestlé ou Danone.
« 95 % des produits vendus dans les supermarchés sont achetés directement aux transformateurs pas aux agriculteurs », souligne Neil McMillan, directeur chez Eurocommerce un lobby industriel comptant parmi ses membres des géants européens comme Carrefour, Tesco ou Lidl. Selon l’organisation, basée au cœur du quartier européen à Bruxelles, une réglementation à l’échelle de l’Union n’est pas la réponse adéquate, car les « États membre disposent déjà de règles encadrant les relations contractuelles », entre agriculteurs et les représentants de la grande distribution.
« Il est temps que les agriculteurs reçoivent leur juste part du gâteau », a simplement répondu le Commissaire irlandais, visiblement bien résolu à ne pas plier sous l’influence de ce puissant secteur. A suivre…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–UE / Concurrence : les négociateurs européens scellent un accord sur la nouvelle méthodologie antidumping
–UE-Canada / Agroalimentaire : les fromages et vins, grands vainqueurs du CETA
–UE / Réglementations : les normes agricoles européennes menacées par le ‘Brexit’ ?