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Singapour, un hub pour l’Asie

Il y a quinze mois, le négociant de vins bordelais Dubos Frères a quitté Bangkok, la capitale thaïlandaise, pour s’établir à Singapour. Une délocalisation dans la région justifiée par le fait que la société française étant déjà bien présente dans le monde chinois et en Corée du Sud, « il valait mieux s’installer à Singapour pour se développer en Asie du Sud-est », explique le responsable de cette région, Wilfried Bourceau, qui a élu domicile dans les bureaux de la Chambre française de Commerce de Singapour (FCCS).

« Aujourd’hui, pour aborder le monde chinois, les entreprises s’implantent à Hong-Kong. Mais quand elles veulent rayonner plus largement dans l’Asean (*) ou dans la grande Asie, c’est-à-dire du Moyen-Orient à l’Australie, alors l’option Singapour se détache », commente Frédéric Rossi, le directeur du bureau d’Ubifrance à Singapour. La cité-Etat possède un autre atout majeur aux yeux de Dubos Frères : la présence d’entrepôts de stockage en zone franche. « Or, si nous livrons directement de France certains pays comme le Vietnam, expose Wilfried Bourceau, nous préférons opérer de Singapour quand il s’agit de pays où les règlementations changent, comme l’Indonésie et la Malaisie, où qui demeurent relativement fermés comme la Birmanie ».

Selon Frédéric Rossi, « 75 à 80 % des vins importés à Singapour sont ensuite expédiés en Asie jusqu’en Chine et en Inde ». Dans un pays dont le produit intérieur brut (PIB) frise les 51 000 dollars par habitant, Dubos Frères entrevoit aussi la possibilité de séduire le consommateur singapourien avec des vins prestigieux et des grands crus. Singapour a beau être un tout petit pays (voir chiffres clés page 14), dans certains domaines, à lui seul il vaut le détour.

La cité-Etat figure, par exemple, parmi les leaders mondiaux du raffinage, ce qui a incité CTP Environnement, une PME d’une centaine de salariés, à s’implanter sur place. Spécialisé à l’origine dans le nettoyage des unités en marche et à l’arrêt, ce prestataire de service dans le raffinage pétrochimique a aussi développé un système de traitement des effluents qu’il espère bien commercialiser à Singapour.

A partir de ce pays, CTP Environnement Asie Pacifique opère déjà en Inde, à Taïwan – avec un agent trouvé à l’occasion d’une mission organisée par Ubifrance –, et, de façon ponctuelle – avec deux partenaires locaux – en Australie et Nouvelle-Zélande. La société espère aussi développer des flux réguliers en Indonésie et en Malaisie, deux nations où elle vient également de signer deux contrats d’agence, suite à des missions montées par Ubifrance.

Le cadre économique est libéral, l’environnement des affaires est sûr, la stabilité politique n’est pas menacée. Indépendant depuis 1965, ce jeune pays au sud de la Malaisie est, en outre, classé au premier rang mondial quant à la facilité de faire des affaires dans le rapport Doing Business 2013 de la Banque mondiale. Selon Stéphane Benoist, le directeur général du cabinet d’expertise comptable et de conseil Orchid Link, « avec une documentation complète, il est possible de créer une société en une journée ». Il suffit de s’adresser à l’organisme public Acra, un « guichet unique » qui tient le registre du commerce. Enfin, l’Etat n’est pas avare de soutiens « pour les sociétés qui veulent investir dans l’outil de production, la formation ou participer à des expositions », détaille Stéphane Oziol, directeur général de CTP Environnement Asie Pacifique.

Affichant une bonne santé économique (2,9 % de croissance prévue par le FMI cette année), la cité-Etat peut aussi soigner son rôle de carrefour régional. Le bâtiment et les travaux publics y sont très dynamiques. Attiré par la forte croissance du BTP en Asie, Graitec, spécialiste français de la conception assistée par ordinateur (CAO) pour l’ingénierie et la construction, est installé, tout comme Dubos Frères, dans les locaux de la FCCS depuis un peu plus de deux ans.

« Le pouvoir d’achat s’élève en Asie, la classe moyenne émerge, ce qui génère une nouvelle demande de construction de magasins. Et à Singapour, le gouvernement poursuit une politique active visant à améliorer la productivité dans un secteur qui reste encore un métier de main d’œuvre », explique Pascal Bergougnou, directeur général Asie Pacifique de Graitec. Aujourd’hui, la filiale singapourienne du concepteur français de logiciels pour la construction pilote également les activités de la filiale indienne de la maison mère, qui emploie trois responsables indiens à Bombay.

Singapour veut jouer aussi de son rôle de plateforme régionale pour occuper le terrain des sports et des loisirs. Après avoir obtenu en 2008 l’organisation d’un grand prix de formule 1, le Singapore Sports Hub, un complexe sportif de 55 000 places y est prévu pour accueillir en 2014 le championnat de fin de saison de la WTA, prestigieuse compétition de tennis professionnel féminin, puis l’Asean Football Federation (AFF) Suzuki Cup, co-organisé avec le Vietnam en 2015 et les jeux olympiques d’Asie.

Filiale de Bouygues Construction, Dragages Singapour va construire et gérer l’ouvrage pendant 25 ans dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP). « C’est le plus gros contrat signé par une entreprise française et le seul PPP à Singapour. Généralement, l’Etat finance en cash, mais, dans le cas du Sports Hub, il a souhaité partager le risque opérationnel », commente Frédéric Rossi.

« Il y a de la place pour les PME françaises », assure encore Frédéric Rossi. D’abord, parce qu’elles peuvent y trouver des partenaires, même si, fait-il remarquer, « ce n’est pas une obligation ». Ensuite, la propriété intellectuelle y est protégée et les PME peuvent encore y trouver des financements locaux. Alors que le gouvernement fait aujourd’hui feu de tout bois pour encourager l’innovation, la modernisation de l’économie, l’équipement informatique des entreprises dans le matériel et les logiciels, Frédéric Rossi pointe aussi la mission d’identification confiée à IPI Singapore (www.ipi-singapore.org), un organisme chargé de recenser les besoins des entreprises locales en matière de technologie.

Au fil des ans, Singapour a renforcé son rôle de plaque tournante en signant seul ou dans le cadre de l’Asean des accords commerciaux avec une trentaine de pays. Elle est le premier membre de l’Asean à avoir conclu, le 16 décembre dernier, un accord de libre-échange (ALE) avec l’Union européenne. Il doit encore être ratifié par les Etats-membres. « Sur le plan commercial, l’impact de cet ALE sera limité, car le libre échange est déjà largement pratiqué dans la région. En revanche, il va donner une impulsion supplémentaire à l’investissement étranger déjà très dynamique à Singapour », juge Hubert Testard, chef du Service économique régional (SER) pour l’Asean.

Aujourd’hui, le petit pays asiatique abrite quelque 7 000 multinationales avec un siège régional. D’après une enquête menée par le SER, plus de 600 filiales d’entreprises françaises de toute taille et quelque 160 entrepreneurs individuels y possèdent une implantation locale. Elles y couvrent une palette variée de domaines d’activités, notamment les services financiers (21 % des filiales françaises), l’audiovisuel, l’électronique et les télécommunications (17 %), la mécanique, la sidérurgie, l’automobile et les industries de défense – aéronautique, spatial, naval – (15 %), l’énergie, la chimie et les matériaux (10 %), le BTP et les mines (7 %), tout comme l’habitat, les loisirs et la culture ou encore le domaine de la mode et de la beauté. Suivent l’agroalimentaire (5 %), le transport et la logistique (4 %), la santé, la pharmacie et les sciences de la vie (3 %).

L’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) dans le pays a un revers. Seuls les deux tiers de la population sont des citoyens singapouriens et surtout le nombre d’expatriés ne cesse d’augmenter. Il y a ainsi 10 000 Français vivant sur place. Les prix de l’immobilier ont tellement augmenté que l’Etat impose aux étrangers une taxe supplémentaire de 10 % au moment de l’achat d’un appartement. « Les Singapouriens, qui ont toujours été habitués à être propriétaires, n’ont plus les moyens d’acheter », s’inquiète Stéphane Benoist.

C’est dans ce contexte que sont survenues les élections législatives de 2012, à l’issue desquelles l’opposition a grignoté des sièges au Parlement, rendant plus sensibles les revendications de Singapouriens pour de meilleurs salaires. Jalousie vis-à-vis des expatriés ou plus précisément des Chinois de Chine, dans un pays où les Chinois constituent 75 % de la population ? Volonté aussi du gouvernement que le personnel local accède à des fonctions plus importantes en entreprise ? Toujours est-il que l’équipe au pouvoir cherche à restreindre l’emploi de stagiaires et de travailleurs étrangers pour inciter les entreprises à engager du personnel local. Une situation qui nuit aujourd’hui à l’activité de certaines sociétés, qui espèrent à terme un revirement du gouvernement.

Une enquête coordonnée par François Pargny avec Carole Chomat à Singapour

(*) Fondée en 1967 par cinq pays – Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande – l’Association des nations du Sud-est asiatique (Asean) s’est enrichie en 1984 de Brunei, en 1995 du Vietnam, en 1997 du Laos et de la Birmanie et en 1999 du Cambodge.


Chiffres clés

Population : 5,4 millions d’habitants
Superficie : 720 km²

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